Le soleil était revenu sur l’île. Les beaux jours, la chaleur. Les couples d’élèves qui se formaient dans la cours, se cachaient dans les couloirs leurs chambres. Frédérick aurait été en forme, il leur aurait couru après juste pour s’amuser. Mais il n’était pas en forme. Il était loin d‘être en forme. Et plus les jours passaient, plus ce décalage s’accentuait. Ienzo avait beau essayait de l’aider – qu’il était mignon et serviable ce petit – il avait du mal. Trop soudain pour qu’il puisse l’accepter. Trop violent pour qu’il puisse oublier. Trop douloureux pour qu’il tourne la page. Les paroles restent des paroles, ses promesses qu’il s’était fait dans l’intimité avant de quitter son pays natales n’avaient peut-être pas envisagées ces possibilités. Ce qu’il venait de lui arriver. Il se sentait désespérément vide.
Vide d’énergie.
Vide de sens.
Et pourtant la vie ne s’était pas arrêtée pour autant. Même si les secondes et les minutes ne s’égrenaient plus de la même façon. Il s’y ferait. Il s’était remis de pire. Il se remettrait de ça. Une fois de plus. Après tout, ce n’était qu’une nouvelle partie de lui qui s’était envolée. Il lui en restait encore un peu. Pour un fois. Pour deux fois. Jusqu’au jour où il ne restera plus rien. Il se demandait bien à quoi ressemblerait un tel jour. A qui il penserait les dernières minutes de sa vie. A sa mère ? A son meilleur ami ? A son amour disparu ? Peut-être un mélange de tout ça à la fois. Il verrait bien ce jour là. Il devrait rester avec un homme comme Ienzo, il n’aurait pas ce genre de problème. Et ça rendrait le petit heureux. Il en avait besoin en ce moment vu qu’il était dans la même situation que lui. Enfin… Ca serait comme sortir avec on petit frère. Il ne pourrait pas vraiment. I l’aime énormément mais pas de cette façon.
Il n’a plus aimé de cette façon depuis… Des années.
Peut-être.
Il ne sait plus.
Aujourd’hui était un jour de plus. Du soleil. Des rires. Du bruit. Trop de bruit. Le lycée l’étouffait. Et il ne voulait pas le croiser, lui. Plus que tout autre chose. Il avait décidé de fuir, pour une journée. Une de plus. Une paire de lunette, ses affaires dans les poches. Il était parti. Il ne sait pas où. Là où ses pas le mèneront. Il a envie de s’évader. De partir. Loin. Trop loin. Un endroit impossible à atteindre. Un tour en ville. Trop de monde. Se sentir agresser. Sentir les poids des regards. Même si ce n’est pas lui qu’on regarde.
Besoin de s’échapper.
A travers les arbres de la forêt. Il court. Vite. Le souffle court, le cœur battant. L’ombre. Puis la lumière. Salvatrice, peut-être ? Il s’arrête. Le sable s’étend devant lui. Plus loin, le port. Le bruit des bateaux. Son regard qui se fixe sur un bateau qui va partir. La liberté. L’envie de partir, de s’enfuir. Une lueur d’espoir qui se dessine dans ces yeux, derrière le noir de ses lunettes qu’il ne peut retirer. Des yeux prisonniers d’un corps en mauvais état. Une âme prisonnière d’un esprit qui s’égare.
« N’y a-t-il donc jamais de repos… ? »
Un murmure lancé dans le vent dans cette langue française qu’il déteste tant, dans le fond. Comme tout son être. Comme il déteste sa famille, comme il déteste l’homme qu’il a aimé, comme il se déteste lui-même. Partir ? Abandonné une fois de plus cette vie, son meilleur ami, ses souvenirs ? S’enfuir, reconstruire une identité ? Tout recommencer… encore une fois. Une chance ou un piège ? Est-il voué à commettre toujours la même erreur. Qu’aurait pu lui dire sa mère à cet instant ? Elle lui aurait dit de garder l’espoir, avec son sourire magnifique. Elle lui aurait dit que tout finit toujours par s’arranger, qu’il faut toujours y croire. Petit, Frédérick… non, Galant, aurait attrapé une de ses longues mèches de cheveux, plantant ses yeux verrons dans le regard bleuté de sa mère. Il aurait réfléchi à ces mots qu’il n’aurait pas forcément compris. Comment garder espoir quand le sort semble vouloir détruire le peu qu’il arrive à construire ? Il était parti une fois ? Pourquoi pas deux ?
Debout sur la plage, il était complètement immobile. Sa respiration s’était faite infime. Statue de sable parmi le sable, il observait sans le voir ce monde qu’il ne supportait plus. Sans le voir, mais en l’entendant. Echo parfait à ses pensées, la voix de quelqu’un vint percer le mur de sa carapace. Comment ça "Plus tard" ?
Il tourna la tête. Sur sa gauche, plus loin sur la plage, un homme était allongé dans le sable. L’avait-il vu ? Ou entendu ? Ou compris, puisqu’il n’avait pas parlé japonais. Il s’en fichait. Le destin existait-il ? Il regarda le ciel un moment. Première fois depuis des jours, un sourire perça sur ses lèvres. Garder l’espoir. Peut-être que le destin existe, peut-être était-ce une coïncidence, il n’en savait rien. Plus tard. Plus tard il verrait. Plus tard il partirait peut-être. Plus tard. Pas maintenant. Quand plus rien ne le retiendrais réellement à cette endroit.
Ses yeux se reposèrent sur l’homme allongé sur le sable. Assez loin pour qu’il ne l’entende pas s’il parlait à vois basse, assez pour qu’il distingue sa voix en parlant normalement. Il s’approcha de deux pas. Son ombre s’arrêtait à quelques centimètres du corps de l’homme. Un sourire étrange étirait toujours ses lèvres. Le sourire d’un homme qui vient de trouver une réponse. Après qu’on le prenne, pour un fou il s’en fichait. Sans doute l’était-il, dans le fond.
« Enchanté » Prononça-t-il avec un ton calme. « Votre intervention fut salvatrice, je vous en remercie. Peut-être étais-je sur le point de commettre une erreur de plus sur ma longue liste. »
Son discours n’avait sans doute aucun sens aux yeux de cet individu, mais il s’en fichait éperdument Preuve de bonne fois, il retira ses lunettes de soleil, plissant légèrement les yeux sous la soudaine luminosité, laissant apparaître les couleurs vertes et bleues de ses pupilles. Il l’observa une seconde, sourit de plus belle, s’inclina légèrement avant de remettre ses lunettes, sentant le soleil lui brûler les rétines de façon douloureuse. Il s’écarta légèrement, et observa la mer une seconde, s’échappant de nouveau avant de rattraper son esprit avant qu’il ne s’en aille trop loin. Pas maintenant. Pas devant quelqu’un. Les apparences, dirait son père, son plus primordial que n’importe quelle vérité. Peut-être était-il comme lui dans le fond.
« Vous êtes nouveau sur cette île je me trompe ? Du moins je ne crois pas vous avoir déjà croisé. Je m’appelle Frédérick Owens. »
Se présentant plus par politesse qu’autre chose, il resta debout. Ses yeux, invisible pour ceux de l’homme sur le sable, naviguaient entre ce dernier, le ciel et la mer se mêlant à l’horizon. Prêt à partir s’il dérangeait un moment de calme qu’il venait de troubler, il attendait simplement de voir ce que lui réserver son Destin.