Séance de tir [PV Eden]

Eden respirait enfin. Ce n’est pas qu’il travaillait trop, bon il avait du boulot tout de même mais pas au point de saturer, pas qu’il avait le mal du pays, ça faisait déjà un moment qu’il était là, pas non plus que l’air était trop pollué, bien que l’ile soit petite et comporte énormément de bâtiment. Non. Ce qui étreignait la poitrine d’Eden, bloquant son souffle, était la surpopulation. Et là, enfin, il était seul.

Cette forêt comportait bon nombre d’avantages : Sa densité d’abord, elle était assez importante mais permettait tout de même de se déplacer sans trop de difficulté et comportait des clairières laissant filtrer la lumière du soleil ou de la lune, plus de la lune à cette heure tardive, ce qui favorisait la vision, de jour comme de nuit. Ensuite il y avait sa flore. Magnifiques arbres, plusieurs centenaires voire plus, des milliers de nuances de couleur qui changeait sellons le temps, la période, l’heure et tout ça laissait l’impression d’avoir rencontré l’infini, on se sentait petit, mais pas de façon déplaisante. Et enfin, le dernier avantage qui était de loin de préféré d’Eden, était sa faune. Composée en tout et pour tout d’animaux, les hommes avaient peur, parait-il, des bêtes sauvages…A vrai dire, Eden n’avait jamais croisé la moindre présence, humaine ou non, ici, et cela n’était pas pour lui déplaire.

Le jeune Wallker avait vécu les quinze premières années de sa vie entouré seulement de quelques personnes, n’en connaissait pas d’autre dans un espace, bien que grand, restreint par rapport au monde qui l’entourait et dont il ne soupçonnait pas l’existence. Alors se retrouver ici entouré d’une foule d’humains en tout genre qui lui demandait sans cesse quelque chose était plutôt déstabilisant et c’était un euphémisme.

Aussi il appréciait particulièrement les instants comme celui-ci où il pouvait se poser à un endroit reculé de toute civilisation, après avoir éteint son portable retiré sa montre et tout laissé à son appartement. Certaines personnes disaient en effectuant ce genre de retour aux sources qu’elles « rechargeaient leurs batteries ». Eden, lui, ne pensait pas ça du tout, l’électricité contenue dans un corps humain était des plus naturelles qui soient et ne nécessitait absolument pas d’être rechargée comme un vulgaire téléphone. Encore une preuve que l’homme était l’esclave de la technologie.

Eden était plongé dans ses pensées profondes lorsqu’il entendit un étrange son, un genre de sifflement aigu et sourd à la fois suivit d’un choc significatif que quelque chose qui percute un arbre…Ou plutôt qui s’y plante. Il s’arrêta et réfléchit un instant. La dernière fois qu’il avait entendu un tel bruit c’était en Angleterre et c’était…Il n’arrivait pas à remettre le doigt dessus. Aussi se rendit-il à l’endroit d’où provenaient les bruits, faisant fi de la prudence, il n’avait jamais eu peur pour lui-même et n’avait personne à protéger. Aussi se retrouva-t-il au bord d’une clairière lumineuse à l’éclat de la lune. Il s’y trouvait un arbre criblé de flèches. Mais oui, tir à l’arc. C’est vrai, un de ses jardiniers en faisait parfois dans le jardin de sa propriété en Angleterre. Etrange qu’il ne s’en soit pas souvenu plus tôt puisque c’est une pratique qui l’avait toujours fasciné bien qu’il ne s’y soit jamais mis lui-même.

Il suivit la direction inverse des flèches pour apercevoir le tireur et recula rapidement dans la forêt en le voyant venir pour récupérer les projectiles. C’était un homme d’une trentaine d’année avec des cheveux roux flamboyants tirant sur le rouge ainsi que des yeux vert émeraude dans lesquels la lune se reflétait, ce qui permettait de les voir presqu’aussi éclatant qu’en plein jour sans doute. Son œil gauche était barré d’une fine cicatrice. Son corps était parfaitement entretenu et structuré mais il se tenait d’une façon étrange, amenant son poids plus sur une jambe que sur l’autre. Blessure quelconque sans doute. Alors que le tireur inconnu, après avoir bataillé avec le tronc d’arbre pour y retirer ses flèches, se remettait à sa place pour continuer à tirer, Eden décida quant à lui de contourner la clairière pour voir ça de plus près. Il n’était plus très loin de son but lorsqu’il marcha sur une branche qui craqua. Il grimaça en voyant le geste de l’homme se figer alors qu’il tendait l’oreille. Il l’avait surement entendu. Il pointa son arme vers Eden, la flèche prête à partir. Et merde…

« Qui va là ? »

Lança-t-il d’une voix forte, résonnant légèrement dans la clairière. Aie. Question délicate. Eden ne savait jamais vraiment quoi répondre à ça. Pourtant il savait qu’il ne pouvait pas faire comme si de rien était, faire le mort ne servirait pas à grand-chose de toute évidence aussi s’avança-t-il vers l’inconnu en priant pour ne pas se prendre une flèche entre les deux yeux, ou ailleurs.

« Personne d’intéressant pour un tireur…Je ne vous veux pas de mal, je passais simplement par-là, si vous pouviez abaisser votre arme je vous en serez infiniment reconnaissant. »

Répondit-il seulement en espérant que, à défaut de mettre l’archer en confiance, cela suffirait à lui éviter la mort ou la blessure. Mais bon, en général c’est la surprise qui poussait les gens à menacer d’une arme, il n’avait pas réellement l’intention de tirer c’est ce pas ?

Les doigts crispés sur la corde de son arc tout aussi tendu, il attendit avec une patience attentive que la source du bruit qu’il avait attendu ne se montre devant lui. C’est sans grande surprise que, quelques secondes après son interrogation évasive, un homme ne se présente derrière lui, sortant de la protection du couvert des arbres. Il s’avança dans la clairière, laissant la lune éclairer sa silhouette et son visage. Fin et longiligne, ses cheveux encadraient un visage qui n’avait pas des traits rassurés. Il y avait de quoi, lorsqu’on se fait menacer d’une telle façon. Le rouquin ne baissa pas son arme pour autant. Il connaissait cet homme. Même s’il ne l’avait jamais croisé lui-même de manière physique, il n’en était pas moins informé sur les choses. Surtout pour un homme de cette… envergure. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on se retrouve avec quelqu’un ayant un rang élevé dans le milieu mafieux. Ou tout du moins, en tombant dessus par hasard. Axel finit malgré tout par l’estimer sans danger immédiat dans la manière avec laquelle il s’était adressé à lui. Centimètres par centimètres, il abaissa son arc. La corde perdit de sa tension et il finit par retirer la flèche de la petite encoche qui lui permettait d’être maintenu à l’arc de bois.

Gardant son arc contre lui dans sa main droite, il s’autorisa un mince sourire avant de marcher jusqu’à son sac à dos, posé au pied d’un tronc. Il en retira une bouteille d’eau qu’il ouvrit pour en boire une longue gorgée avant de se retourner vers le nouvel intrus, l’observant encore quelques secondes avant de se décider à parler.

« On ne croise pas grand monde dans un endroit comme celui-ci à une heure pareille. » expliqua-t-il en guise d’excuse pour l’avoir, dans les apparences, inutilement menacé.

Il se passa une main dans les cheveux, en plaquant quelques mèches à cause de la sueur perlant sur son front Au fond, il n’arrivait pas à un si mauvais moment. Il n’avait pas vraiment vu l’heure passé, il était peut-être temps de mettre fin à sa petite séances d’entraînement nocturne. D’un geste, il proposa un peu d’eau à la personne à coté de lui, un sourire presque amical étirant le coin de ses lèvres.

« Qu’est-ce qui t’emmènes dans le coin ?»

Fouillant dans la poche de son pantalon, il en sortit un de ses paquets de cigarette. Il du encore fouiller quelques secondes pour remettre la main sur son briquet. La flamme qui en sortit lorsqu’il alluma le bâtonnet de tabac éclaire faiblement son visage l’espace de quelques secondes. Il s’imprégna un instant du tabac descendant le long de sa gorge avant d’en recracher une longue volute de fumée qui s’envola dans un courant d’air, ne laissant derrière elle qu’une maigre odeur.

« Si tu t’es perdu, la sortie pour retourner en ville c’est par là. » D’un geste, il indiqua une direction au sud de la clairière, s’éloignant entre les arbres. « Mais je ne pense pas qu’un type perdu se serait arrêté pour m’observer, non ? »

Il s’adossa au tronc d’arbre, la cigarette coincé entre ses lèvres faiblement éclairée par le halo orangé émanant du tabac incandescent. Il toisa de nouveau le jeune homme. Un peu plus jeune que lui, sans doute. Pas forcément la tête du étier, mais ça, il avait appris à ne pas s’y fier. Bon, comparé à la sienne, forcément… Il sourit pour lui-même en se faisant cette remarque et s’appuya d’un bras sur son arc qui se plia souplement sous son poids avant de se stabiliser.

« Ou alors tu t’attendais à un scène plus cocasse ? Pour venir ici souvent je peux te dire que la forêt ce n’est pas ce qui y’a de plus fréquenté. »

Un mince rire franchit ses lèvres sans qu’il ne détache ses yeux. Il se passa une main sur la nuque et finit par attraper la valise qui gisait à coté de son sac à dos pour y reposer son arc avec précaution. Il prit le temps de ranger le carquois accroché à sa ceinture, faisan attention à la disposition des flèches pour ne pas les abimer et referma le tout. Le clic caractéristique des loquets résonna quelques minces secondes entre les arbres. Il se releva à nouveau et s’avança jusqu’à l’homme, lui tendant une main. Après tout, ça pouvait être un jeu qui en valait la chandelle. Décidément, il faisait beaucoup de rencontres amusantes ces derniers temps.

« Axel, enchanté. »

Eden sourit, un peu narquoisement, l’homme en face de lui avait baissé son arme et retiré la flèche qui y était fixée. Il n’avait, de toute évidence, pas envie de raccourcir son espérance de vie. Pourtant, Eden avait remarqué la façon dont l’autre l’avait regardé, il devait sans doute le reconnaitre…Décidément, on ne peut même plus se promener en pleine forêt sans que nos activités nous reviennent en pleine figure…Pensa-t-il. L’homme, tenant toujours solidement son arc dans une main, se tourna vers un sac à dos posé non loin d’eux, en tira une bouteille d’eau dans laquelle il but une longue gorgée avant de se tourner à nouveau vers lui pour le détailler. Il prit la parole. Eden remarqua que le timbre de voix du tireur était fort agréable à l’oreille ce qui le fit légèrement sourire avant qu’il ne se décide à répondre, légèrement amusé.

« C’est pour ça que je suis là… »

Apparemment, le rouquin devait s’entrainer depuis un bon moment déjà puisque des gouttes de sueur perlaient sur son front et que sa posture laissait paraitre une fatigue musculaire. Il proposa un peu d’eau à Eden que ce dernier refusa avant de répondre à la question qui lui avait été posée :

« Le calme et la solitude…Mais on dirait que c’est rappé pour le deuxième, j’avoue que je ne m’attendais pas non plus à trouver quelqu’un ici… Mais bon, tant pis, je m’isolerais une autre fois. »

Il haussa les épaules, fronçant légèrement le nez lorsque l’odeur de la cigarette vint à ses narines. Il n’avait jamais vraiment aimé ça en vérité, quel plaisir quelqu’un pouvait retirer d’un peu de fumée qui, non contente d’avoir une affreuse odeur, détruisait peu à peu les poumons de ceux qui la chérissait tant. C’était un peu comme apprécier de se trouver au beau milieu d’un incendie, non ? Pourtant il ne fit aucun commentaire et observa le fumeur. Celui-ci semblait penser qu’il était le seul à apprécier la solitude, ou du moins le seul à connaitre cette forêt puisqu’il croyait qu’Eden s’était perdu ou cherchait la civilisation.

« Merci mais je sais parfaitement où je suis et je sais parfaitement ce que je peux y trouver… »

Répondit-il, d’un ton plus sec et agacé qu’il ne l’aurait voulu. A vrai dire, il ne contrôlait pas trop ses émotions d’où le fait qu’il préfère les masquer, mais lorsqu’il n’y parvenait pas, on pouvait le trouver vraiment lunatique dans certaines circonstances et ce n’était pas forcement des situations plaisantes pour Eden. Mais l’homme continua de le regarder comme si de rien était, appuyé sur son arc, avant de se détourner enfin pour le ranger dans la valise qui se trouvait à côté de lui et qu’Eden n’avait pas remarqué auparavant. Il constata que le roux prenait grand soin du matériel dont il disposait, rangeant les flèches correctement, parfaitement alignées, avant de refermer la valise avec soin, faisant raisonner le loquet. Il se redressa ensuite et, avec un sourire commercial, lui tendit une main en se présentant. Axel…Hum…Après tout, que risquait-il ? Il n’en avait absolument que faire en vérité. Il pouvait bien lui arriver n’importe quoi qu’il s’en ficherait royalement, il était trop détaché de sa propre vie pour s’en préoccuper. Aussi serra-t-il la main tendue.

« De même » Répondit-il d’abord, avant de poursuivre d’une voix plus chaude qu’il ne l’aurai voulu, à l’inverse de tout à l’heure. « Moi c’est Eden. »

Apparemment il n’allait pas finir la soirée seul, comme il l’avait prévu. Enfin, à condition qu’Axel ne décide pas de partir immédiatement. Du coup il entama la conversation, désireux d’en apprendre un peu plus sur le roux avant de le laisser filer.

« Tu viens souvent tirer ici ? »

Demanda-t-il en désignant l’arbre, qui avait servi de cible, du pouce. Il était étonné de ne pas l’avoir croisé plus tôt, il était, lui-même, venu pas mal de fois cette semaine pour se changer les idées. Mais bon il est vrai qu’il n’avait pas vraiment d’heure fixe…

Il releva les yeux vers Axel après avoir jeté un regard circulaire à la clairière. Dommage que la nuit ne permettait pas de le voir suffisamment, il aurait aimé pouvoir le détailler, voir ses expressions pour ce faire une idée de quel genre d’homme cela pourrait être, même s’il savait qu’il ne fallait pas se fier aux apparences. Lui-même cachait tellement son jeu…